Programme "Les sources informelles du journalisme"
journée d’études
Les sources informelles du journalisme
Date : 11 avril 2008
Petite indiscrétion susurrée au détour d’une conversation, l’information « off the record » est livrée sous le sceau de la confidence : elle ne peut être rendue publique et sa source ne peut être révélée. D’ailleurs, s’il transgressait la règle du « off », le journaliste pourrait bien se trouver sur une liste noire et se couper de ses sources. Le « off » fait ainsi partie de ces sources informelles du journalisme : « off », mais aussi informations provenant de rumeurs ou encore photos obtenues sans autorisation, par exemple. Il s’agit de sources non identifiables. Pourtant, malgré leur statut informel, ces sources peuvent faire l’objet d’usages stratégiques de la part des diffuseurs et des journalistes. Ainsi, le « off » surgit dans les colonnes des journaux, sur les ondes, à la télévision : émission « Les off de campagne » sur Canal +, blogs tels celui de ce journaliste de RTL, Jean-Michel Apathie, qui « chaque jour […] dévoile au public les coulisses de ses interviews. Comme d’autres journalistes, il utilise le blog pour décrire l’envers du décor »[1]… Les exemples sont nombreux. En le publiant, le journaliste assume peut-être que l’interlocuteur qui invoque le « off » réclame en réalité l’anonymat, l’absence d’attribution des propos mais non leur proscription absolue. Les interviewés eux-mêmes n’en jouent-ils pas[2] ? Le « off » peut par exemple être un moyen, pour un homme politique de faire connaître son avis lorsqu’il diverge de celui de sa famille politique. Sa pratique transforme ainsi l’interview journalistique en processus de co-narration[3], de négociation avec les sources.
S’agit-il alors d’une compromission ? D’un moyen pour le journaliste de se grandir (le journaliste tire d’autant plus de prestige du secret et de la confiance que l’importance de la source lui est alors transférée symboliquement) ? Ou de « transparence » ? Il s’agit alors d’interroger ce « hors champ ».
Quels sont les usages des sources informelles du journalisme et ces usages sont-ils légitimes ? Le recours aux sources informelles ne déroge-t-il pas à la règle voulant que le journaliste cite et identifie ses sources d’information ?
Deux axes de questionnement seront privilégiés dans cette journée d’étude.
1. Les usages des sources informelles.
Certains journaux comme le Canard enchaîné utilisent et « normalisent » l’usage du « off », l’élevant même à une certaine noblesse due au label « journalisme d’investigation » si prisé par la profession (Marchetti). La reprise des informations du Canard enchaîné par d’autres journaux est aussi significative de cette reconnaissance, bien que le Canard enchaîné demeure un journal alternatif par opposition à une presse « classique ». L’usage de sources informelles peut relever de stratégies de différenciation, conduisant peut-être à réviser certaines hiérarchies, ainsi que le souligne Gérard Courtois, rédacteur en chef du journal Le Monde : « si l’électeur a l’impression que le plus important n’est pas dans le papier écrit ou l’interview radio mais dans les à cotés racontés sur les blogs, cela peut créer un renversement de la hiérarchie de l’information ». Dès lors, y a-t-il une transformation dans les usages du « off » ? Qui utilise le « off » ? Jean-Baptiste Legavre signale « une application différentielle de la règle »[4] en fonction d’une certaine temporalité, du nombre de journalistes détenteurs de l’information confidentielle, et des circonstances de l’interaction (lieux, moment mais aussi utilisation de notes ou du magnétophone). Toutefois, l’absence de certaines données sociologiques (relatives notamment au type de média ou encore au statut hiérarchique des journalistes ayant recours au « off ») ne permet pas de le mettre en perspective. A qui permet-on de l’utiliser, dans quelles circonstances, et quels sont les journalistes qui peuvent se permettre de l’employer ? Où est le « off » ? Où rencontre-t-on les sources informelles ? Quels médias y ont recours (blogs, médias traditionnels, presse people…) ?
2. La protection des sources.
S’il est considéré comme légitime pour les journalistes de raconter les coulisses (d’autant plus que la transgression du « off » ou la divulgation de photos peut générer un scoop), les usages stratégiques de sources informelles (« off », rumeurs…) peuvent poser question, notamment en terme de déontologie. La confidentialité peut répondre à un impératif de protection des sources ; elle peut aussi être nécessaire à l’exercice de la profession (nécessité de ne pas se couper des sources). Toutefois, il en va aussi de la crédibilité du journaliste qui, en masquant ses sources, peut sembler ne pas jouer le jeu de la transparence. Dans ce deuxième point, il s’agira donc d’évoquer la problématique du secret des sources au regard du droit. Quel est le rapport des journalistes à la règle ? Comment l’interprètent-ils ? En fonction du « devoir d’information », de la nécessité de livrer aux lecteurs « les faits », « la vérité » ? A travers ces questions se pose également celle des représentations de la profession sur ses pratiques.
Programme :
Matin (9h – 12h30)
- Accueil des participants et présentation de la journée d’études par Emmanuelle Gatien (IEP Toulouse) et Sandra Vera-Zambrano (Université Toulouse 1).
- Jean-Baptiste Legavre (Université de Versailles Saint-Quentin) : « Retour sur un instrument de coordination des pratiques : le off the record ».
- Oliver Hahn (Université de Dortmund) et Olivier Baisnée (IEP Toulouse) : « Du bon usage du off en milieu international. Débats et transactions autour des propos informels à propos de l’Union Européenne ».
- Discussion.
Repas : buffet
Après-midi (14h – 17h)
- Nicolas Kaciaf (Université de Versailles Saint-Quentin) : « Les confidences à la presse, entre prise de par et loyauté ».
- Eric Lagneau (IEP Paris) : « Le déclin des « sources sûres » ? De l’usage persistant des sources non identifiées à l’AFP ».
- Pascal Dauvin (Université de Versailles Saint-Quentin) : « Humanitaires et journalistes, entre dit et non-dit ».
- Discussion.
[1] FRAISSARD Guillaume, ZILBERTIN Olivier, « Sur un blog, tous les coups (même bas) sont-ils permis ? » in Le Monde, Dossiers et Documents, n° 362, Mars 2007, p.4.
[2] Journalistes et hommes politiques peuvent ainsi entretenir des relations d’ « associés-rivaux » (Jeremy Tunstall).
[3] PETERSON Mark Allen, “Getting to the story : unwriteable discourse and interpretive practice in American journalism”, in Anthropological Quaterly, vol. 74, n°4, pp. 201-211, 2001.
[4] LEGAVRE Jean-Baptiste, « Off the record. Mode d’emploi d’un instrument de coordination », Politix, 19, 1992.