Programme du séminaire du 26 septembre 2008 : « Fusions et réorganisations administratives en Europe »


 



Groupe de travail de l’AFSP

« Science politique comparée des administrations »

(A. Cole/J.-M. Eymeri-Douzans)

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« Fusions et réorganisations administratives en Europe »

2e séminaire d’étude du Groupe : le 26 septembre 2008

Laboratoire des sciences sociales du politique (LaSSP)

IEP de Toulouse, en salle du Conseil

Organisateurs : Julie Gervais & J.-M. Eymeri-Douzans

 

Univers spécialisé et hiérarchisé, les bureaucraties publiques sont organisées selon une précise division du travail, affinée au cours de l’histoire administrative de chaque pays, qui voit les diverses missions de service public être réparties en unités distinctes, ordonnées tant fonctionnellement que hiérarchiquement. Dans tous les Etats membres de l’Union européenne, cette division sociale du travail de gouvernement – défini comme tout uniment politique et administratif – consacre les départements ministériels (ministerial department) subdivisés en directions d’administration centrale (directorate-general, division, abteilung) comme les « blocs » fondamentaux de la structuration administrative du « cœur de l’Etat » (core executive). Aussi est-il logique que cette architecture institutionnelle soit affectée par les politiques de réforme ou de modernisation administrative, quel que soit leur nom, que connaissent la plupart de nos Etats depuis vingt à vingt-cinq ans.

Pourtant, les réorganisations administratives et demeurent relativement peu explorées par les travaux de science politique en général, et par la science politique française en particulier. Une des raisons de ce relatif désintérêt est sans doute à chercher dans le fait que les réorganisations d’appareil et autres jeux d’organigrammes sont une ancestrale technique de gouvernement, pratiquée par maints gouvernements depuis le Grand Frédéric de Prusse ou les réformes napoléoniennes : elles  n’ont donc pas l’attrait de la nouveauté, à la différence de bien des préceptes et des recettes promus par le néo-managérialisme public (New Public Management), qui ont davantage recueilli l’attention des chercheurs. Aussi certains travaux ont-ils eu tendance à proposer une lecture peut-être intellectuellement un peu paresseuse des restructurations administratives effectivement intervenues durant les deux dernières décennies comme la « variable dépendante », la conséquence de la diffusion conquérante d’une doctrine néo-managériale qui, pour sa part, concentrait l’intérêt des recherches.  

Or l’observation comparative de ces restructurations organisationnelles, dans un même Etat comme de pays à pays, amène à constater qu’elles renvoient à des réalités fort différentes qui sont loin d’être le produit standardisé d’une seule et unique doctrine cohérente. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les deux cas de figure les plus récurrents. D’un côté, le mouvement dit d’« agencification » (particulièrement fort au Royaume-Uni, avec les « agences exécutives » du programme Next Steps et autres « quangos » - quasi non-governmental organisations  - ainsi qu’aux Pays-Bas et dans les pays nordiques ; plus limité et sectorisé en France, avec les agences de sécurité sanitaire et alimentaire en particulier) s’analyse comme une dynamique d’hyperspécialisation conduisant, sous couvert d’accroître l’imputabilité (accountability) des dirigeants pour leur gestion, à un phénomène de parcellisation bureaucratique par la voie d’une déconcentration, voire d’une décentralisation fonctionnelle à des entités dont le degré d’indépendance peut au demeurant varier beaucoup d’un cas à l’autre. Mais, d’un autre côté, une des formes classiques de réorganisation administrative, dont l’actualité française fournit maints exemples importants, consiste en un mouvement inverse, de nature centripète, conduisant à la mise en place de vastes « superstructures » omniscientes et soi-disant surpuissantes, fruits de la fusion de différents services, missions, corps administratifs, directions, voire de ministères. 

Il est intéressant de relever que ces deux logiques opposées de réorganisation administrative se succèdent parfois dans le temps au sein d’un même pays. C’est topique dans le cas du Royaume-Uni, par exemple, qui a connu durant les années soixante et soixante-dix un consensus en faveur de vastes ministères centraux pléthoriques, avant que la « révolution » thatchérienne n’inverse la tendance en faveur de « core ministries » réduits en effectifs et concentrés sur les fonctions stratégiques, tandis que les fonctions de gestion et de mise en œuvre étaient dévolues à la multitude de nouvelles agences exécutives. Puis, un retour de balancier s’est opéré sous Tony Blair, avec les initiatives de ‘joined-up government’, visant à corriger les effets pervers de l’agencification intensive. L’on observe aussi, comme c’est le cas en France, des périodes qui voient coexister la création d’agences spécialisées et autonomisées dans certains secteurs tandis que, dans d’autres, sont créés par fusion-absorption des « super-ministères » tel celui de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire (MEDAD) ou engagées les fusions d’énormes entités administratives telles que la Direction générale des impôts (DGI) et la Direction générale de la comptabilité publique (DGCP), ou l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et le réseau des Assedic (en charge du paiement des indemnités de chômage), et ce tandis que dans le même temps « Bercy » est officiellement subdivisé en deux entités. 

Or il va sans dire que ces réorganisations administratives de sens opposé sont justifiées par des « récits de politique publique » (policy narratives) semblables, se réclamant de la même rhétorique d’une rationalité néo-managérialiste toujours prompte à asséner l’évidente valeur du « one best way » qu’elle propose. C’est ainsi toujours au nom de « trois E » (économies, efficacité, efficience) et en vue de délivrer un meilleur service public à moindre coût (best value for money), en particulier de réduire les coûts salariaux, que les gouvernements européens procèdent tantôt à des fusions et à des regroupements de services et de personnels, tantôt à la déconcentration/décentralisation de leurs activités, qu’elle soit fonctionnelle sous la forme de la création d’agences et autres établissements publics, ou territoriale sous la forme de dévolutions de compétences accrues aux services déconcentrés de l’Etat sur le territoire et aux collectivités régionales et locales.

Aussi une approche de ces phénomènes à partir de la « doctrine » du New Public Management générique constitue-t-elle en l’espèce un écran analytique qui rend difficile de comprendre et d’expliquer ces mouvements concrets aux logiques en apparence contradictoires. Nous nous proposons plutôt ici d’observer de façon comparative un certain nombre de cas européens afin de mieux cerner ce qui se joue, au concret, dans ces réorganisations administratives qui sont autant de créations, suppressions, démembrements, et fusions de ministères, de directions ou de corps administratifs. C’est donc à la réflexion continue de notre discipline sur les recompositions contemporaines de l’Etat en Europe que l’on entend ainsi apporter une très modeste contribution.

Fidèles à notre souci commun de réinvestir en politistes le champ des institutions administratives, c’est moins la formalisation juridique et la dimension légale de ces opérations (arrêtés de réorganisation, délimitations du périmètre de compétences, jeux des décrets d’attribution et nominations aux nouveaux emplois de direction) qui retiendront notre attention, que ce qui s’y joue en termes de configurations de pouvoir, de luttes entre entités rivales, et de conséquences sur les agents concernés et sur leurs façons de penser et de faire leur travail. Car les agents publics, parties prenantes de ces recompositions dont ils sont les acteurs (tantôt initiateurs, tantôt résistants), cherchant à modeler leur contenu, à l’ajuster à leurs stratégies collectives et à l’adosser à leurs intérêts, sont dans le même temps les principales cibles, voire les principales victimes de ces recompositions organisationnelles.

C’est à cette ambition que le groupe SPCA de l’AFSP propose de consacrer sa journée d’étude de septembre, en explorant notamment les questions suivantes, sous l’angle comparatif :

Ø      A quel(s) type(s) de logiques concrètes répondent les réorganisations administratives observées dans les pays européens considérés ?

Ø      Selon quelles rhétoriques sont-elles justifiées et légitimées ? Q’y a-t-il de proprement « néo-managérialiste » dans ces projets ? 

Ø      Sous quelles « conditions de félicité » ces réorganisations ont-elles des effets de recomposition durable de l’appareil d’Etat ?

Ø      En quoi les jeux d’échelle et la dimension multi-niveaux (en particulier dans les Etats fédéraux ou autonomiques comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne) influent-elles sur les modalités et la portée de ces réformes ?

Ø      Quel(s) impact(s) les réorganisations administratives ont-elles sur les perspectives de carrières des agents, leurs identités collectives et leurs cultures au travail ?

Ø      Etc.

 

Programme de la journée d’étude


La journée se déroulera en langues anglaise et française, selon le schéma suivant : 

Première séance : Trois nouvelles études de cas

Ø      Président : Alistair Cole, Université de Cardiff, invité à l’IEP de Toulouse ;

Ø      Discutant : Jon Pierre, Université de Göteborg. 

 

-         9 h - 9 h 30 : Rappel introductif sur la logique du projet (Julie Gervais, LSE-Triangle & J.-M. Eymeri-Douzans, LaSSP-IEP).

-         9 h 30- 10 h 15 : « Spanish Ministerial Reorganisations: From Bureaucratic Functional Divisions to Republican Views of Society? » (Salvador Parrado-Diez, Université à distance de Madrid).

-         10 h 15-10 h 30 : Coffee break.

-         10 h 30 -11 h 15 : « Fusions de corps au MEDAD : les  recompositions néo-managérialistes de ‘l’Etat ingénieur’ français » (Julie Gervais, LSE-Triangle).

-         11 h 15- 12 h 15: Discussion (Jon Pierre).

-         12 h 15-12 h 45 : Questions-réponses entre la salle et les intervenants.

 

 

Seconde séance : Réflexions et perspectives comparées transversales

-         14 h 30-17 h : table-ronde informelle entre tous les participants au projet, présidée par Jon Pierre :

Ø      Tobias Bach (& Werner Jann), Université de Potsdam ;

Ø      Alistair Cole, Université de Cardiff ;

Ø      J.-M. Eymeri-Douzans, LaSSP-IEP de Toulouse ;

Ø      Julie Gervais, LSE-Triangle-associée au LaSSP ;

Ø      Julien Meimon, CERAPS-associé au LaSSP ;

Ø      Edward Page, London School of Economics (sous réserve) ;

Ø      Salvador Parrado-Diez, Université à distance de Madrid ;

Ø      Christian de Visscher, AURAP- Université catholique de Louvain.

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